La communication entre les scientifiques, la société, les politiciens et les politiciennes se doit d’être fluide, rapide et efficace pour lutter contre les grands enjeux environnementaux auxquels nous faisons face. Les scientifiques œuvrent à établir les faits, la société manifeste ses attentes et le gouvernement agit. Or, les disciplines scientifiques ne sont pas toutes égales à cet égard. Nous documentions dans les pages de la première édition du Climatoscope un déficit croissant de communication entre la science du climat et celle de la biodiversité (Legagneux et al. 2019). Alors que le changement climatique fait la nouvelle, voire qu’il détermine une partie de l’agenda public, et que l’attention médiatique qu’il suscite croît proportionnellement avec le développement de la connaissance scientifique, l’attention portée à la crise de la biodiversité demeure négligeable et déconnectée de la recherche.
Plusieurs hypothèses sont proposées pour expliquer ce déficit de communication: la biodiversité est un concept diffus, difficile à représenter au quotidien, les aspects catastrophiques du changement climatique sont plus vendeurs auprès des médias, les conséquences économiques sont plus faciles à évaluer, etc. Il est difficile de rassembler dans un message cohérent différents problèmes tels que l’extinction du caribou forestier, la surpêche dans le Golfe du Saint-Laurent, l’envahissement de nos cours d’eau par les moules zébrées ou encore la progression vers le nord de la tique à pattes noires et la maladie de Lyme. Comment communiquer les enjeux de biodiversité, notamment avec les changements climatiques en toile de fond, afin de mobiliser la société et faciliter la prise de décisions nécessaires pour résoudre cette crise?
Toute la complexité du changement climatique a été remarquablement résumée en un seul chiffre, comme un slogan dans une campagne publicitaire: 2,0°C. Il s’agit de la cible fixée pour le réchauffement planétaire lors de l’Accord de Paris pour limiter les conséquences négatives sur l’humain et l’environnement. Ce chiffre tire son origine de différentes études scientifiques et un rapport spécifique du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) étudie les conséquences d’un réchauffement qui se limiterait à 1,5°C (IPCC, 2018). Mais c’est d’abord et avant tout un concept de marketing, simple et facile à représenter dans l’esprit du public. Cela facilite aussi la mesure et le suivi.
La biodiversité est la variété de la vie sous toutes ces formes. Elle se décline d’une infinité de façons, toutes plus originales les unes que les autres. C’est la diversité des adaptations à la complexité de l’environnement où la vie s’est développée, des sources thermales à plusieurs milliers de mètres de profondeur dans les océans jusqu’aux conditions de froid extrême des pôles. C’est la diversité génétique, la diversité des espèces, la diversité des écosystèmes. L’évolution est un processus fantastique qui, contrairement aux principes fondamentaux de thermodynamique qui tendent à augmenter le désordre, augmente la complexité de la vie au fil du temps. Alors comment résumer en un seul chiffre la crise qui menace toute cette diversité et les différents services qu’elle nous procure?
Un chiffre a percé en 2019, il a fait grand bruit et il serait susceptible de symboliser adéquatement le problème: 1 million d’espèces. Annoncé en mai 2019 dans le tout premier rapport du Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services (IPBES, voir l’Encadré 1), ce chiffre seul parvient peut-être à résumer la crise. Il représente le nombre d’espèces susceptibles de disparaître à court terme en raison des actions humaines.
D’où vient cette estimation? Cet article a pour objectif de présenter la science qui permet d’en faire le calcul, d’évaluer son incertitude et aussi son interprétation dans le tout premier rapport de l’IPBES.
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Cet article a d'abord été publié sous le titre «Un chiffre pour la biodiversité» par Dominique Gravel dans le numéro 2 de la revue de vulgarisation scientifique Le Climatoscope paru en 2020.