Le thé est actuellement la boisson la plus consommée au monde après l’eau. Riche en histoire, sa production et son utilisation ne datent pas d’hier ! Mais saviez-vous qu'enterrer des poches de thé aux quatre coins de la planète permet aussi d'étudier les effets des changements climatiques? En plus de faire le plaisir de nos papilles, le thé aide les scientifiques qui étudient les sols. En mesurant la vitesse de décomposition de cette matière organique végétale, il est possible de quantifier l’influence de différents facteurs sur celle-ci, dont celle du climat.
La décomposition est le processus au cours duquel les minuscules organismes, champignons et bactéries présents dans le sol consomment la matière organique (toute matière provenant du vivant) et la transforment en nutriments et en minéraux. Grâce à ce processus, la matière organique retourne à l’état de sol dans lequel les plantes et les petits organismes puisent la nourriture nécessaire à leur développement.
Or, l’efficacité des décomposeurs du sol dépend de différents facteurs dans leur environnement, comme l’humidité, l’acidité, la température et la quantité de nutriments. Par exemple, la vitesse de décomposition est plus lente dans les climats froids et plus rapide dans les climats chauds. Un sol acide, sec et pauvre en nutriments est également moins propice à la décomposition.
Lorsque l’activité des décomposeurs augmente, ces derniers libèrent davantage de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère. À l’instar des humains qui expirent du CO2, ces microorganismes produisent ce gaz à travers leur métabolisme de transformation de la matière organique. Le CO2 étant un gaz à effet de serre en partie responsable des changements climatiques, sa surveillance est de mise et passe par l’observation des réactions du sol et de ses organismes.
L’utilisation du thé dans une optique expérimentale a connu ses balbutiements en 2010, aux Pays-Bas, alors que quelques étudiants néerlandais assistaient à un cours sur l’écologie des sols. Ces derniers ont commencé à imaginer une méthode standardisée basée sur les poches de thé. Ils ont peaufiné celle-ci durant trois ans, pour la publier officiellement en 2013. Parmi toute la gamme de la matière organique testée comme matière première dans le cadre de cette expérimentation, le thé a été choisi, car il est accessible et abordable. De plus, celui-ci arrive déjà ensaché et prêt à l’emploi, avec du matériel végétal bien contrôlé et dûment mesuré ! Le protocole élaboré par les Néerlandais implique d’enfouir deux sortes de thé (rooibos et vert) dans le sol et d’en déterminer la variation de masse après trois mois. En 2015, avec l’appui du gouvernement suédois et du Conseil suédois de recherche (Vetenskapsrådet), la méthode fut reconnue mondialement. En plus de ses expériences locales, une équipe scandinave s'appuie sur la science citoyenne internationale en offrant la possibilité à tous d’effectuer le protocole et d’envoyer les résultats à l’équipe fondatrice via un portail Web. S’étant propagée, cette méthode sert maintenant à plusieurs autres recherches à travers le monde.
Le protocole en question implique plus précisément de mesurer la perte de masse : 1) du thé vert, un matériel à décomposition rapide; et 2) du thé rooibos, considéré comme plus difficile à décomposer. Il est alors possible de déterminer mathématiquement la vitesse de décomposition et d’identifier les facteurs de stabilisation régissant l’activité des microorganismes décomposeurs, tels que la température et l’humidité.
Depuis 2016, le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) utilise le protocole des poches de thé à travers le réseau de suivi de la biodiversité afin de documenter les impacts des changements climatiques sur la vitesse de décomposition des sols québécois. Depuis, pas moins de 400 sachets de thé ont été enterrés sur l’ensemble du territoire québécois, récoltés après 90 jours, puis pesés.
Sachant que le climat influence la vitesse de décomposition, il est possible pour les scientifiques d’analyser les variations dans la perte de masse entre différents sites d’échantillonnage. Le suivi périodique d’un même site permet également de juger si la vitesse de décomposition est accélérée dans un contexte de changements climatiques, ou encore de déterminer les effets des changements environnementaux sur l'état des sols agricoles et forestiers québécois.
Si certains d’entre vous entrevoient déjà l’intérêt de participer à l’effort collectif et de cacher des poches de thé dans leur jardin, sachez que ce n’est pas si simple ! Le protocole est basé sur une marque et une recette de thé bien spécifiques qui se trouvent dans les épiceries européennes. Cela implique que, pour ses inventaires, le MELCCFP doit importer plusieurs caisses de poches de thé directement d’Allemagne. C’est toujours une commande un peu farfelue à effectuer !